“Pour être reçu et écouté, il faut peser”, nous confie Julia Faure, cofondatrice de la marque de vêtements éco-responsables Loom et de l’association En Mode Climat. Et pour peser, avoir une voix plus forte, il faut être plusieurs. Entretien avec Julia Faure, qui nous explique comment la coopération a permis la consolidation législative de la mode éthique en France. 

Tu as co-fondé Loom en 2017 pour avoir un impact sur l’industrie de la mode puis impulsé quelques années plus tard En mode climat. Être une marque engagée, ça ne suffit pas à faire bouger les lignes ?

Quand on a créé Loom avec mon associé, portés par l’ambiance start-up nation, on pensait pouvoir changer le secteur par notre business en prenant des parts de marché. Mais même si Loom s’est bien développé, l’industrie textile est de plus en plus polluante. Alors, on a essayé de changer les grosses boîtes de l’intérieur en allant faire des conférences chez les grands du secteur. On a également tenté d’informer les consommateurs via des prises de parole, notre blog, des fiches produits très détaillées. Ça n’a pas fait de révolution.

La mode produit et vend encore beaucoup trop de vêtements. Pire, les marques éthiques sont la caution pour le système. On se partage 1% des parts de marché avec les marques éthiques et 7 vêtements sur 10 vendus en France c’est du low-cost. Pourtant, les marques éthiques ont une surexposition médiatique, un effet loupe qui fait croire que le secteur change. Si les marques éthiques restent si minoritaires c’est parce qu’il y a une prime au vice, un avantage compétitif à mal faire. Si tu décides de délocaliser depuis le Portugal vers le Bangladesh, tu peux avoir la même qualité pour 5 fois moins cher. La prime au vice empêche les marques éthiques de prendre des parts de marché mais empêche aussi les grandes marques de bouger. On s’est rendu compte qu’il n’y aurait pas de changement sans revoir les règles du jeu global.

Concrètement comment vous vous êtes pris pour lancer “En mode climat” ?

Au début, on s’est rapproché de France Nature Environnement, les Amis de la terre et Zéro waste France pour porter un plaidoyer commun. Mais on a seulement obtenu un rendez-vous au sein d’un sous-secrétariat d’Etat de l’Ecologie et reçu aucune nouvelle ensuite. Comme on a observé que les gouvernements écoutent plus la société civile quand elle défend des intérêts économiques, on a rassemblé 80 marques textiles et publié une tribune dans Le Monde : “Nous, marques textiles, demandons à être plus régulées” signée par 80 personnes. La Tribune a fait du bruit, donnant lieu à une question au gouvernement à l’Assemblée. La pression médiatique s’est installée. J’ai compris à ce moment-là l’intérêt des tribunes. C’est un moyen de pression pour se posit ionner sur les échiquiers politiques.

Suite à la tribune, de nombreuses personnes ont demandé à nous rejoindre. On a créé “En mode climat” à ce moment-là. On a formalisé l’existence d’un anti lobby qui utilise son influence non pas pour les intérêts personnels et le court terme mais pour avoir un poids sur le long terme.

Quelles sont vos revendications avec “En mode climat” ?

“En mode climat” part des objectifs des Accords de Paris et regarde ce qu’il faut faire dans le secteur pour y parvenir. Notre plaidoyer s’articule autour de 3 grands axes : 1. Réduire le volume de vêtements neufs mis sur le marché. 2. Relocaliser l’industrie textile. 3. Encourager l’industrie de la réparation. Ce plaidoyer, structuré en proposit ions, nous a permis de rencontrer des Ministres et d’être présents dans toutes les discussions sur le textile en France.

Qu’est ce que tu recommandes à des entrepreneur·ses qui veulent faire pression sur le gouvernement pour faire changer les normes dans leur secteur ?

Pour être reçu et écouté, il faut peser. Tu pèses en fonction du nombre de personnes que tu représentes, de la qualité de tes idées, de la pression médiatique. Il faut se créer un pouvoir institutionnel, médiatique et symbolique. C’est pas parce que ce que tu dis est bien que tu es reçu et écouté mais parce que tu as un moyen de pression.

La personnification est importante également. Il faut un visage, celui d’une personne entraînée à parler dans les médias. Et malgré cela, il faut préserver le collectif, ne pas parler de sa marque même si on a plus de visibilité. Les mouvements sans porte-parole c’est compliqué.

Enfin, il faut de la ténacité, alerter les politiques et les médias et faire des alliances. Être nombreux et dire ce qui ne va pas, c’est insuffisant. Ce qui fait la différence c’est d’avoir l’analyse la plus juste possible, être rigoureux sur les chiffres et avoir des proposit ions de plaidoyer très carrées.

Quelles sont vos victoires ?

Est-ce que depuis qu’on existe, la fast fashion est moins polluante ? Non ! On n’a pas réussi à transformer notre secteur. Mais on a gagné une bataille culturelle. Maintenant il y a un consensus sur l’idée que la fast fashion ce n’est pas bien. On n’a pas été les seuls mais on a participé à un changement culturel.

On est un interlocuteur de référence pour les pouvoirs publics, à la table de toutes les négociations. On ne nous écoute pas toujours mais on a gagné quelques batailles sur le nouveau cahier des charges de la Responsabilité Élargie du Producteur Textile (l’obligation pour les marques de prendre en charge la gestion des déchets de leur industrie, via la collecte, le recyclage ou le réemploi) notamment. On a obtenu que les bonus et malus de cette contribution puissent être indexés au volume produit. C’est une victoire symbolique mais importante car pour la première fois, on introduit l’idée qu’on peut pénaliser selon le volume produit.

Comment le mouvement est-il organisé ?

Le mouvement compte aujourd’hui 600 membres. Il repose en grande partie sur le travail bénévole de ses membres. Les membres ne paient pas d’adhésion et les messages sont portés par des patrons d’entreprises du secteur. “En mode climat” est financé par des subventions (dont la Fondat ion européenne pour le climat), les dons des marques adhérentes, les pourboires laissés par des consommateurs sur des sites de marques adhérentes, les revenus liés à mes interventions à des conférences.

“En mode climat” a une structure très légère avec seulement quelques prestataires qui aident à structurer le plaidoyer, comme Flore Berlingen, autrice du livre “Recyclage : le grand enfumage”.

Qu’est ce que tu recommanderais à des entrepreneurs et entrepreneuses qui veulent s’allier avec d’autres pour faire du lobbying ?

Il faut y aller en collectif et ne pas le faire pour toi ou pour ta marque. Il faut donc que ton organisation soit assez solide pour s’investir dans le collectif. Pour rassembler, il faut de la sincérité et de la générosité. La mode est un milieu très concurrentiel. Malgré ça, il y a des entrepreneurs vraiment généreux comme Thomas de 1083 ou Clément d’Hopaal qui ont créé un climat d’entraide dans notre secteur. On a compris qu’on n’était pas des ennemis.

📖 Propos recueillis dans le cadre du livre blanc « Entreprendre 100% vivant« , publié par makesense. 

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