Se lancer dans l’entrepreneuriat en plein essor de l’intelligence artificielle, ça pose plein de questions. Faut-il l’intégrer à tout prix dans sa solution ? Comment combiner IA et entrepreneuriat social ? Réponse avec Victor L’Huillier, entrepreneur et responsable affaires publiques chez XXII.
De l’entrepreneuriat à l’IA, il n’y a qu’un pas.
Je m’appelle Victor et je suis responsable affaires publiques chez XXII, une société éditrice de logiciels IA en computer vision. La vision par ordinateur, c’est le fait de pouvoir transmettre une vision aux machines pour réaliser une tâche donnée. À côté, j’ai fondé une entreprise, 577, qui accompagne des parlementaires sur leur stratégie électorale et sur des sujets tech. Auparavant, j’ai également fait partie d’une autre aventure entrepreneuriale en développant une IA avec un cardiologue pendant un an.
L’IA, partenaire de qualité ou concurrente redoutable ?
Au premier abord, quand on entreprend, on ne pense pas forcément à l’IA en tant que telle. Il faut d’abord se poser les bonnes questions sur l’intérêt de la mission à court et long terme pour développer son idée. Il faut prendre en compte dans l’écosystème que l’IA existe. 9 entreprises sur 10 affirment que l’intelligence artificielle leur permet d’avoir un avantage compétitif sur leurs concurrents (selon MIT Sloan Management). L’IA change les usages et les façons de faire, de fabriquer et de créer. Non, l’entrepreneuriat et l’IA ne sont pas ennemis, bien au contraire, puisqu’à eux deux, ils révolutionnent des métiers, y compris dans le secteur social et environnemental.
« Apprendre à gérer les données devient un enjeu culturel et civilisationnel et pas seulement technique »
Il y a de plus en plus de technologies qui démocratisent l’utilisation de l’IA. Je pense à Midjourney, ChatGPT, Dall-E. Il faut faire attention à leur utilisation car on ne sait exactement comment sont traitées les données, donc on recommande de ne pas partager d’infos confidentielles ou privées. Cela dit, il est essentiel aujourd’hui d’apprendre à manier ces plateformes. L’intérêt principal de ces outils IA est d’enlever les tâches chronophages et répétitives pour l’être humain, sans pour autant perdre le travail de réflexion et de créativité qui, lui, reste humain.
Par exemple, dans le cadre de 577, nous avons fait passer 12 candidats grâce au travail de 4 salariés et 3 stagiaires. Si c’était à refaire aujourd’hui, on aurait accompagné plus de candidats, avec peut-être plus de salariés, grâce aux gains de temps permis par l’IA. Je pense aux compte-rendus, à la rédaction de brief, qui peuvent être très bien gérés par certaines technologies.
S’y former, c’est indispensable. Apprendre à gérer les données devient un enjeu culturel et civilisationnel et pas seulement technique. Ne serait-ce que pour apprendre à détecter les biais et sensibiliser à une IA éthique, ce qui est rendu possible par la connaissance de l’IA. C’est donc super important d’y être sensibilisé et formé pour garder un œil sur l’impact des solutions développées. Attention à ne pas louper le coche. Aujourd’hui, l’IA ne va pas remplacer les jobs des consultants par exemple, mais on attendra d’eux de savoir l’utiliser. C’est la créativité du salarié et l’utilisation de ces outils à bon escient qui feront la différence. C’est un véritable enjeu éducatif, et les grandes écoles doivent également s’en emparer pour former les étudiants à une utilisation éthique et à impact de l’IA.
La feuille de route de l’éthique : sensibiliser, former et règlementer.
Une utilisation éthique de l’IA est possible. Ça se fait en trois temps : sensibilisation, formation et règlementation. Sur ce dernier point, il est essentiel pour l’entreprise de respecter le cadre règlementaire de l’IA dès sa conception, qui doit se faire dans un cadre de “privacy by design”, avec un respect scrupuleux des RGPD pour que les données personnelles soient traitées correctement. Puis, chaque entreprise devrait avoir un comité éthique pour statuer les différents cas d’usages ou façons de faire.
Par exemple, chez XXII, le comité éthique se réunit tous les deux mois. Il est composé de deux salarié·es élu·es, le juriste, le CEO et deux membres externes. Ce comité est renouvelé tous les deux ans et nous faisons en sorte de compter parmi les membres externes une personne pas forcément pro-IA pour amener un contre-pouvoir qui doit pouvoir challenger nos idées. Ce modèle-là doit être appliqué.
Il faut aussi avoir en tête que mettre de l’IA pour faire de l’IA n’a aucun intérêt. Il faut d’abord bien regarder le secteur d’activité de son entreprise pour voir quelles technologies sont adaptées et intéressantes. Cela peut être la robotique, la vision par ordinateur, le NLP (Natural Language Processing, pour comprendre et manipuler le langage parlé) ou le big data. Ce sera peut-être une combinaison de ces technologies ou une seule. Puis, il faut travailler avec des personnes formées à ces outils qui peuvent comprendre vos besoins et votre vision.
Repenser notre monde du travail
Dans l’IA, un métier type est compliqué, car le domaine est en constante évolution. Il en va donc de même pour les professions. Maîtriser ces outils va devenir indispensable pour la plupart des entrepreneurs, et même s’ils ne sont pas centraux à leur solution, c’est toujours bien de s’y former pour acquérir de nouvelles connaissances et être capable de comprendre ce qu’il se passe dans l’actu tech. Il faudra ensuite recruter des personnes capables de s’adapter à ce nouvel écosystème technologique, et ce, dans presque tous les secteurs.
Et l’environnement dans tout ça ?
Les technologies consomment énormément donc c’est en effet important de mesurer leur impact et faire en sorte de les réduire. Il faut bien comparer l’impact négatif sur l’environnement avec l’impact positif que l’IA peut apporter afin d’identifier les points d’amélioration. Il y a un vrai travail de sensibilisation à faire autour des usages de l’IA pour que ceux-ci soient le moins néfastes possible pour l’environnement.
On parlait de comité éthique, mais il est également important pour les entreprises de l’IA de se former aux enjeux RSE. Aujourd’hui, pour certaines levées de fonds, on est obligé d’avoir une charte RSE en prouvant tout ce qu’on fait au niveau de la réduction de l’impact. Il faut absolument prendre cela en compte.
Les recos pour s’inspirer
Je conseille fortement la newsletter de Cafetech ! Sinon, il y a plusieurs journalistes et personnes influentes dans la tech qu’il est intéressant de suivre, comme Jérémy Lamri. Personnellement, je garde aussi toujours un œil sur les Echos Start et les publications de l’Harvard Business Review dans les rubriques nouvelles technologies.