Les aires marines protégées expliquées à ma fille

Les aires marines protégées expliquées à ma fille

AMP ? On t’explique ce qu’il y a derrière ces trois lettres et pourquoi on doit absolument parler des aires marines protégées.
18 September 2023
par Vianney Louvet
6 minutes de lecture

AMP, ça te dit quelque chose ma fille ? Viens je t’explique ce qu’il y a derrière ces trois lettres et pourquoi les aires marines protégées sont un truc dont on doit absolument parler dans les cours de récré (et dans les chaumières). 

L’océan, le berceau de la vie, hier et demain

Ma fille, faut que je te raconte un truc dingue. Il y a plusieurs milliards d’années, tout ce que tu vois autour de toi n’était qu’un grand océan fortement concentré de multiples molécules. Un genre de soupe primordiale. C’est de ce bain, un brin acide, qu’est né tout le vivant, tout ce qui t’entoure et qui bouge plus ou moins vite.

Ce bain est de nos jours considéré comme “le poumon de la planète”. Cette expression, on l’utilise pour les forêts mais aussi pour l’océan… Et ce pour deux raisons : 

  • Grâce au plancton qu’il abrite. Le plancton, c’est l’ensemble des végétaux et animaux aquatiques souvent microscopiques qui dérivent au gré des courants. La partie végétale, le phytoplancton en suspension dans la couche de surface de l’océan, absorbe le CO2 et rejette du dioxygène grâce à la photosynthèse, CO2 directement consommé par les organismes marins. 
  • Ensuite, le reste de ce même CO2 se dissout naturellement dans l'océan, au niveau des régions froides. L'eau qui a absorbé beaucoup de carbone devient alors plus dense, coule et piège ainsi le carbone vers les profondeurs. L'océan absorbe environ 30% de nos émissions de CO2, non négligeable… Lors de cette réaction chimique, une acidification de l’océan se produit. S’il y a donc trop de dioxyde de carbone dans l’air… les océans vont s’acidifier plus vite. En 250 ans, le taux d'acidité de l'océan a augmenté de 30%... Et si cela est moins visible et moins médiatisé que le réchauffement climatique ou la montée des eaux, il n’en reste pas moins que c’est dramatique pour les habitants marins, et nous, par la même occasion. 

Une dernière chose sur les océans, qui devrait elle aussi te convaincre que nos eaux salées sont à chouchouter :  

  • L’océan soigne tes soirées d’été : il absorbe plus de 90% de la chaleur qui résulte des activités humaines.
  • L’océan soigne la vie : il abrite environ 2,2 millions d'espèces… Et je te glisse une info fascinante : jusqu’à aujourd’hui, seules 250 000 de ces espèces ont été découvertes, soit 13% ! Imagine ce qu’il nous reste d’émerveillement et de connaissance dans ces profondeurs bleues.
  • L’océan soigne nos peuples : ils nourrissent 3 milliards de personnes (selon la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), quasiment la moitié de la population mondiale…

Et c’est là que commencent les mauvaises nouvelles. 

Des océans très mal en point

Je ferai vite là-dessus, ma fille. Sache qu’aujourd’hui les océans, qui recouvrent environ 361 millions de kilomètres carrés, soit 70,8 % de la surface du globe, sont dans un état alarmant. 

  • Ils se vident de leur biodiversité : d’après l’IPBES, la première cause de destruction de l'océan est la pêche industrielle, 
  • Depuis 1950, les pêches industrielles ont réduit de 90 % les populations de grands poissons tels que les cabillauds, les flétans, les requins, les mérous, les thons, espadons ou marlins,
  • On l’a dit, les océans s’acidifient, 
  • Ils sont soumis à des pollutions de toutes natures (plastique, fuites d’hydrocarbures, engrais lessivés par les pluies…),
  • Ils se réchauffent, leur partie supérieure se réchauffe environ 24 % plus rapidement qu'il y a quelques décennies, et ce taux devrait augmenter à l'avenir,
  • Avec le réchauffement climatique, l'océan pourrait se mettre à émettre du carbone au lieu d'en absorber.

Les méthodes de pêche destructrices qui raclent les fonds marins et relâchent le carbone piégé dans les fonds marins deviennent pour nous une menace. Avec le réchauffement actuel qui dépasse les 1,1 °C, le poisson pêché sur les zones côtières migre vers le Nord et se fait plus rare. De plus, le réchauffement qui « dilate » les eaux, fait augmenter brutalement le niveau des mers. C’est pour cela qu’on parle, même dans un scénario où l’on réussit à limiter le réchauffement à 2°C, de 280 millions de personnes qui se seront condamnées à l’exil.

L’aire marine protégée, dans l’idée

Face à ce constat, tu le comprends bien, des mesures drastiques sont à prendre, urgemment. Pour lutter contre le changement climatique, l'acidification de l'océan, la première chose à faire est de stopper la pêche industrielle qui prive l'océan de sa biodiversité. C'est pourtant cette biodiversité qui est responsable du bon fonctionnement de la “pompe carbone” biologique.

Bref, des mesures, vite. L’une d’entre elles se nomme “les Aires Marines Protégées” (AMP). 

En une phrase simple : les AMP sont des zones précises, géographiquement définies et “supposées” - note bien ce mot - préserver la biodiversité sous-marine, c’est-à-dire les habitants marins et leurs habitats. Sur le papier, les AMP sont donc une idée pleine de bon sens et a priori efficace pour sauvegarder les écosystèmes marins, et leur redonner l’espace et le temps pour se régénérer. Il y a deux types principaux d'AMP : les AMP sans pêche industrielle, et les AMP sous protection stricte, sans activités humaines. Dans les réserves marines, celles qu’on protège intégralement, le volume de poissons est en moyenne 670% plus important que dans les eaux non protégées environnantes, 670% !

Protéger veut dire ici : y bannir les méthodes de pêche intensive et les engins détruisant les fonds marins en les raclant (comme le chalutage de fond). Oui, pardon je t’explique cette dernière technique. La pêche au chalut consiste à racler le plancher océanique avec de lourds engins brûlant d’importantes quantités de carburant, en capturant un peu toutes les espèces, sans distinction. C’est la pêche « la plus néfaste à l’environnement et au climat » répétait une coalition d’ONG qui tentaient, comme depuis des dizaines d’années, de dénoncer ces pratiques début 2022. Ne te trompe pas, s’il y a des réserves intégrales où la pêche artisanale serait interdite - 10% des eaux en protection stricte - les recommandations de l'UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) laissent en réalité 90% des espaces maritimes à la pêche artisanale. Sache d’ailleurs que les pêcheries artisanales représentent la majorité des pêcheries mondiales (en nombre d’emplois et de navires).

Est-on sur la bonne voie ? Si seulement.  

L’aire marine protégée, dans les faits

Les AMP sont aujourd’hui des jolies promesses de nos élus mais le réel noie très vite tout espoir.  

Au niveau mondial, 2,9% de l’océan sont intégralement protégés des impacts de la pêche industrielle ou des activités extractives (il y aurait 2 800 forages en activité dans le monde, principalement en Amérique du Nord, en Russie et dans le Pacifique).

La France, notre petit pays, est la deuxième puissance maritime mondiale, après les États-Unis. Et qui dit puissant, dit obligation de donner l’exemple. Et pourtant c’est tout le contraire. Nous sommes très en retard sur ce sujet. 

Ces chiffres vont peut-être te mettre en colère : notre pays, qui a annoncé que 2025 serait “l’année des océans” ne protège de façon stricte que 4% de ses eaux, 4% ! C’est un score ridicule face aux 24% des États-Unis ou 39% du Royaume-Uni. 

En 2021, selon BLOOM une ONG qui œuvre pour la conservation marine, près de 50% de la pêche industrielle française a eu lieu dans des zones… considérées comme protégées ! On est d’accord, il y a un problème. Et il dépasse notre pays, sur tout le vieux continent, on exploite 86% des aires dites «  protégées », notamment avec des techniques comme le chalut dont je te parlais tout à l’heure. À ce propos, comble de l’absurde, dans les deux tiers des AMP du nord de l’Europe, le chalutage est 1,4 fois plus intense dans la zone “protégée”, qu’en dehors ! AMP, Aire Maritime Prétendue. 

Le combat des eaux, c’est maintenant

BLOOM dont je t’ai parlé, avec d’autres associations de plaidoyer, s’engagent au quotidien pour : 

  • Informer sur l’état des lieux océanique,
  • Vulgariser et communiquer sur les chiffres proclamés ça-et-là, souvent trafiqués ou méconnus (un exemple concret : la France affirme qu'elle protège déjà 33% de ses eaux sans sourciller, même quand ces espaces sont chaque jour parcourus par des navires industriels. Mais ces nobles messages fonctionnent, selon un sondage de BLOOM datant du printemps dernier, 44% des Français pensent que les engins traînants sont déjà interdits dans les AMP), 
  • Mener des campagnes de plaidoyer auprès de nos décideurs politiques, des institutions françaises, européennes et internationales et ainsi militer pour la création d’aires marines honnêtement, pleinement, radicalement protégées. 

Ma fille, sache qu’il y a des choses simples à faire pour que tout cela bouge. L’océan est source de nombreuses convoitises, mais ceux et celles qui se battent pour que nos institutions opèrent un virage radical sont nombreux, eux aussi. Si nous sommes très nombreux à demander à notre président de protéger, pour de vrai, nos AMP sur 30% de  notre territoire marin, alors il n’aura plus vraiment le choix. 

On fait ça ensemble, ma fille ?