Et si c’était pire avant ? L’année 536 et autres dates apocalyptiques…

Et si c’était pire avant ? L’année 536 et autres dates apocalyptiques…

Pandémie, confinement… Pour le magazine Time, cela ne fait aucun doute : l’année 2020 fut “la pire de toutes”. Et pourtant...
23 November 2022
5 minutes de lecture

Pandémie, confinement, feux de forêts et même, guerres de gangs entre singes¹… Pour le magazine Time, cela ne fait aucun doute : l’année 2020 fut “la pire de toutes”. Mais nos amis journalistes américains n’auraient-ils pas la mémoire courte - et le cuir délicat ? Car l’Histoire du Monde ne manque pas d’années pourries pouvant concourir au titre, à commencer par la célèbre (et sinistre) année 536…

La couverture du Time, 14 décembre 2020

Vous trouvez la période morose ? Vous n’êtes pas seul. Le pessimisme fait son grand retour au point que, selon l’ONU², “l’état de la santé mentale dans le monde” atteint des niveaux “extrêmement préoccupants.” Les guerres nous rongent, le changement climatique nous épuise, tandis que le COVID à lui seul serait responsable d’une explosion de 25% dans les cas de dépressions et d’anxiété.

Et pourtant. Les choses pourraient aller encore plus mal - ça vous rassure ? Pour l’historien médiéval Michael McCormick, la pire année de l’Histoire ne fut pas 2020, mais l’année 536³.

En 536, la neige tombait en plein été

Cette année-là, l’Europe, le Moyen-Orient et certaines parties de l’Asie sont plongées dans les ténèbres, et ce, pendant 18 mois. En plein été, les températures descendent autour de 2°C ; les chroniqueurs de l’époque rapportent même des chutes de neige en Chine. La décennie qui s’ouvre sera la plus froide depuis 2300 ans. S’en suivront des récoltes catastrophiques, des famines et des morts⁶ par million. Tout ça, “du jour au lendemain” selon McCormick.

Mais comment expliquer un changement climatique aussi brutal en pleine ère de la charrue ? Des analyses de 2018, menées dans un glacier suisse ont permis d’y voir plus clair. Il s’avère qu’en 536, une incroyable éruption volcanique survient en Islande, couvrant tout l’hémisphère Nord de cendres et de fumées. 

Les femmes et les hommes du VIe siècle ont laissé des témoignages de cette sombre période ; leurs écrits n’ont été pris au sérieux que récemment⁴. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le sentiment n’était pas à la panique ou le délire apocalyptique. Cassiodorus, un politicien romain, décrit par exemple son émerveillement quand il découvre “que son corps n’a plus d’ombre, même à midi”, tandis que le soleil présente “une couleur bleutée", que la lune est terne et que les saisons “semblent toutes mélangées.”

Peut-être qu’au soir du 31 janviers 536, nos malheureux ancêtres se dirent quelque chose comme : “Quelle année pourrie - vivement la prochaine !”Mais les circonstances les plus mauvaises peuvent toujours empirer, jusqu’à en devenir cruelles. De fait, l’éruption cataclysmique fut suivie de deux répliques, en 540 et 547, tandis qu’en 541, la peste bubonique s’abattit sur l’empire romain. Ce que nous appelons aujourd’hui “La Peste Justinienne” aurait éradiqué le tiers voir la moitié de l’empire occidental et précipita sa chute.

Ils avaient une de ces guigne, en 536 ! Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, certains experts pensent avoir trouvé pire encore.

Le grand championnat de l’année la plus pourrie

En 2020⁵, l’historien britannique Philip Parker a consulté 28 confrères des universités les plus prestigieuses (Yale, Oxford, Stanford) pour savoir quelle année, selon eux, fut la pire de toutes. Si plusieurs dates ont été proposées, c’est l’année 1348 qui a rassemblé le plus de suffrages.

Cette année-là, on ne drague pas, on ne danse pas : on meurt, toi-même tu sais pourquoi. C’est en effet le pic de la Peste Noire, l’épidémie la plus meurtrière que le monde ait jamais connu. Ce petit bacille aurait réclamé 200 millions d’âmes, soit les deux tiers de la population mondiale. Face à cette tragédie, les historiens ne placent l’année 1944 qu’en deuxième position (Hitler derrière le bacille), suivi par l’année 1816, quand une éruption volcanique en Indonésie voile le soleil et provoque la mort de millions de personnes. Dans ce classement, l’année 2020 n’arrive qu’en sixième position.

Ces mêmes historiens ont établi un deuxième classement, en parallèle, ne concernant que les États-Unis. Celui-ci comprend d’autres dates comme 1962 (la crise des missiles de Cuba), 1918 (la grippe espagnole), 1929 (le grand krach boursier) ou même, tout en haut, l’année 1862, quand le pays menace de s'autodétruire dans la guerre civile (ou Guerre de Sécession).

Année 536. Crédit : New York Historical Society

Qu’est ce qu’une année pourrie ?

Finalement, la notion d’année pourrie nous apparaît très subjective. Tout dépend de l'endroit, de l'époque et de la classe sociale où l’on se trouve. Les dates suscitées sont symptomatiques de nos limitations cognitives, puisqu’elles traduisent à la fois d’un biais de récence (plus les événements sont récents, plus ils nous semblent importants) mais également d’un certain ethnocentrisme. Par exemple les famines ayant touché les pays du Sud à partir de 1870, et provoquant de 31 à 61 millions de morts, n’ont pas attiré l’attention de nos historiens, contrairement à l’année 410 marquée par… le sac de Rome - événements qui, probablement, n’a pas beaucoup affecté la qualité de vie des habitants d’Afrique ou d’Amérique.

L’espèce humaine existe depuis près de 200 000 ans. Il y a fort à parier pour qu’elle ait connu des années particulièrement pourries dont nous ignorons presque tout. Un seul exemple ? L’année -75 000. L’éruption du volcan Toba aurait alors plongé la Terre dans un hiver de 10 années, réduisant toute l’humanité à seulement 3000 survivants. Cela veut dire que l’humanité tenait toute entière dans les tribunes du stade Gabriel Montpied à Clermont-Ferrand. Tu parles d’une année pourrie !

Bref. Si vous avez l’impression de vivre une année vraiment naze, dites vous simplement : “comme tout le monde”. D’ailleurs, le marathon ne semble pas terminé car l’OCDE prévoit que l’année 2023 soit économiquement bien pire que 2022⁷. Néanmoins, le Nostradamus des temps modernes (aka Jacques Attali) voit déjà la lumière au bout du tunnel⁸. “L’année 2023 sera pire, écrit-il, mais tout ira mieux en 2024.” 

Bon bah y’a plus qu’à patienter, alors.

1. Christophe-Cécil Garnier, En Inde, les «guerres de gangs» entre singes tuent des gens, Salte, 10 octobre 2020

2. Chronique ONU, L’état de la santé mentale dans le monde après la pandémie de COVID-19 et les progrès accomplis par l’Initiative spéciale pour la santé mentale de l’OMS (2019-2023), 10 octobre 2022

3. Ann Gibbons, Why 536 was ‘the worst year to be alive', Science, 15 novembre 2018

4. Becky Little, The Worst Time in History to Be Alive, According to Science, History, 30 novembre 2018

5. Michael S. Rosenwald, Was 2020 the worst year ever? Historians weigh in., The Washington Post, 30 décembre 2020

6. Cyrille Ferraton, « Mike Davis, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales (1870-1900). Aux origines du sous-développement, Paris, La Découverte, 2003, 479 p., trad. Late Victorian Holocausts, El Niño Famines and the Making of the Third World, 2001. », Astérion [En ligne], 2 | 2004, mis en ligne le 05 avril 2005, consulté le 15 novembre 2022.

7. Eric Desrosiers, Le monde paiera «le prix de la guerre» en 2023, prévient l’OCDE, Le Devoir, 27 septembre 2022

8. Jacques Attali, L’année 2022 est très mauvaise. L’année 2023 sera pire, mais tout ira mieux en 2024, Midi Libre, 23 octobre 2022

Résumé pour celles et ceux qui n'ont que 3 minutes avant la fin du monde

Des moments critiques, il y en a eu dans l'histoire humaine, des éruptions volcaniques anciennes aux pandémies modernes. Alors que l'année 2020 est qualifiée de "pire de toutes" par le Time Magazine, des périodes telles que 536 où la neige tombe en plein été, 1348, avec la Peste Noire, ou 1816, marquée par une éruption volcanique majeure, rappellent la fragilité de la vie face aux forces de la nature. Ces événements, étudiés par des chercheurs en sciences climatiques et en histoire, soulignent les conséquences du changement climatique et la résilience de l'humanité.


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