Bernay, une grande louche de coopération pour faire bouillir la marmite du territoire

Bernay, une grande louche de coopération pour faire bouillir la marmite du territoire

Comment nourrir un territoire localement quand l’agro industrie semble imposer sa loi et que le monde agricole cumule les difficultés ?
31 October 2023
par Hélène Binet
6 minutes de lecture

Comment nourrir un territoire localement quand l’agro industrie semble imposer sa loi et que le monde agricole cumule les difficultés ? Par la coopération et l’inclusion. Dans la région de Bernay, une vingtaine d’acteurs du territoire se sont retrouvés à l’été 2023 pour faire entrer la collaboration dans leurs plans d’action.

Le rendez-vous est donné en fin de journée aux Petites l’Ouches à quelques encablures de la gare de Bernay. La conserverie est tout au fond de la zone commerciale, derrière Kiabi et devant le golf. Pour l’occasion, des tables, des chaises et un buffet sont installés dans la zone de déchargement, les livraisons étant terminées pour aujourd’hui. Ici, depuis 2020, une conserverie en atelier et chantier d’insertion valorise les produits des agriculteurs du coin. 

“On a choisi ce lieu pour cette deuxième rencontre - menée dans le cadre du programme Inclusion & Ruralité parce qu’il incarne tout ce que l’on souhaite valoriser, explique Lison Lopez, cheffe de projet inclusion à la MSA. Les Petites l’Ouches est un projet qui rassemble plein d’acteurs différents, permet à des personnes éloignées de l’emploi de se réinsérer et améliore la résilience alimentaire du territoire.”

Convergence de la résilience

Aux Petites l’Ouches, plusieurs fois dans la semaine, 45 agriculteurs et arboriculteurs de la région amènent leurs carottes, leurs choux, leurs pommes et autres productions locales pour les transformer en poires au sirop, plats cuisinés à base de légumineuses, pois chiche au naturel, tartinades de betteraves et les commercialiser dans les magasins bio du coin. “Le produit star c’est le curry de légumes,” confie Delphine Vandermeersch, directrice de l’association. 

En plus de la conserverie, le hangar abrite également une légumerie - elle aussi structure d’insertion - qui permet de proposer aux restaurants collectifs des produits prêts à être cuisinés, des pommes de terres déjà épluchées et coupées en frites, des oignons découpés… “Cela permet de faciliter le travail des établissements qui doivent répondre aux exigences de la loi Egalim qui impose 50% de produits bio, de qualité et durables dans la restauration,” explique Delphine. 

Tout cet édifice contribue également à renforcer la résilience alimentaire du territoire. “Dans un contexte de perturbations variées et imprévisibles, favoriser les circuits courts, le développement de modes de production durables, imaginer des moyens de conservation et de transformation territorialisés, tisser des liens forts entre les acteurs dans une démarche d’inclusion n’est pas une vue de l’esprit, c’est une nécessité,” rappelle la directrice.

Creuset d’idées

Pour faire de cette nécessité une réalité, une vingtaine d’acteurs ont donc franchi la porte des Petites l’Ouches ce soir de juillet pour partager leurs points de vue, leurs expériences et imaginer la suite ensemble. Parmi ceux-ci, la fondatrice de la ferme biologique du Bec Hellouin, ferme expérimentale fonctionnant selon les principes de la permaculture qui a démocratisé le concept dans la France entière. Les représentants d’Accès, structure d’insertion par l’économie, spécialisée en agriculture et espaces verts étaient là aussi, tout comme Terre de liens, la Chambre régionale d’agriculture, l'intercom Bernay, les équipes de la caisse de MSA Haute Normandie…

Trois groupes ont été invités à réfléchir au rôle de la coopération dans la pérennité des exploitations agricoles, le développement des circuits courts et les liens entre santé et alimentation. Posts-it, tours de parole, partage d’expériences ont permis d’aboutir à une série de recommandations. 

Sécuriser l’avenir de nos assiettes : les défis des exploitations agricoles

Dans le premier groupe, les participants ont rappelé les nombreuses difficultés qui menacent la pérennité des exploitations. Le manque de circuits de commercialisation sécurisés pour les producteurs est un premier obstacle majeur. Le second relève du comportement des consommateurs souvent peu sensibles à l'importance de bien manger, de plus en plus déconnectés des réalités agricoles et peu enclins à consacrer du temps à faire leurs courses et cuisiner. Enfin, le départ massif à la retraite des agriculteurs actuels se heurte à un manque de candidats pour reprendre ces exploitations en l’état. Il faut alors repenser les logiques de transmission. Dans ce contexte, quelles solutions de coopération pour une meilleure pérennité des exploitations ?

“Pour garantir la pérennité des exploitations agricoles, il est nécessaire de mettre en place des solutions de soutien à l'installation collective, expliquent les représentants de ce premier groupe de travail. Les groupements d'exploitants sont un moyen efficace d'éviter l'isolement et de partager les ressources. La formation des cédants est également essentielle pour faciliter la transmission.” Très sensibles à l’inclusion et la redistribution des richesses, le groupe a également imaginé des mesures sociales à mettre en œuvre localement : une sécurité sociale de l'alimentation, un revenu minimum garanti pour les exploitations d’agriculture vivrière. 

Une autre idée fertile de ce groupe ? La coopération autour de la veille foncière “cela permettrait de protéger les terres agricoles et d’éviter qu’elles deviennent des zones constructibles.” Même idée d’approche collective pour resserrer les liens entre les producteurs et les consommateurs avec la création d’un label. Objectif ?  Rendre le territoire plus attractif, lui qui ne se trouve qu’à 90 minutes des portes de Paris.

Le retour en force de l’alimentation locale

Trouver les moyens d’arrêter de faire voyager les aliments tout autour de la planète grâce à la coopération, voilà ce qui a motivé le deuxième groupe de travail. “Le développement des circuits courts est entravé par un manque de volonté politique et d'éducation, ont expliqué les participants. Il est essentiel de redonner du sens aux achats et de résoudre les problèmes d'accès aux produits.” Le fonctionnement des cuisines centrales est apparu également comme un des freins majeurs au locavorisme.

Très créatif, le groupe a imaginé plein de solutions collectives pour y remédier. Si certaines existent déjà, il s’agit de les développer plus largement : mise en place de potagers avec les enfants, création d’ateliers cuisine, organisation de repas partagés, lancement d’une campagne “Adopte ta ferme”. “On pourrait également encourager les SCIC en autogestion pour produire localement mais aussi les coopérations entre habitants.” 

Pour rendre tout cela possible, le groupe préconise de mettre les élus locaux au centre du dispositif. “Les communes doivent être exemplaires, on devrait exiger des cuisines centrales qu’elles cuisinent du local et de la qualité pour permettre aux petites exploitations de se développer. On pourrait également organiser des ‘learning expeditions’ pour montrer aux élus que cela fonctionne ailleurs.” Et pourquoi pas leur présenter des régies municipales qui approvisionnent les cantines scolaires en légumes bios et locaux, produits par des paysans fonctionnaires comme cela se fait ailleurs en France ?

Bien manger c’est bon pour la santé

Le dernier groupe avait pour mission de trouver des idées de collaboration pour créer des ponts entre les acteurs de l’alimentation et de la santé, en gros pour rendre possible la maxime selon laquelle “ton aliment est ton médicament”. La tâche n’est pas simple. Le lien entre santé et alimentation est encore trop souvent négligé et les mondes de l’agriculture et de la médecine ne se croisent quasiment jamais. Par ailleurs, le coût des denrées alimentaires et l'augmentation de la précarité compliquent encore un peu plus l’exercice.

Pour le groupe, des solutions existent à condition de mettre tout le monde à contribution. “Il s'agit de mobiliser largement, d’impliquer les bailleurs sociaux, les habitants et les associations de quartier pour imaginer des actions de sensibilisation à une bonne alimentation et la rendre accessible à tous,” rappellent-ils. À grande ambition, grands moyens : cela doit forcément être accompagné de financements. “Il est aussi important de mettre l'ensemble du corps médical, notamment les diététiciens, dans le coup pour promouvoir des pratiques alimentaires plus saines et issues du territoire.” 

Au moment de la restitution, les discussions vont bon train, la coopération semble déjà fonctionner. Elles durent une partie de la soirée et auraient pu se prolonger une partie de la nuit. Mais l’heure de l’apéro a sonné. Delphine  Vandermeersch sort les tartinades et les jus de la maison et met tout le monde d’accord : des produits locaux, cultivés avec soin et transformés avec amour par des personnes en insertion, on n’a pas trouvé mieux pour nourrir les liens.

La coopération prend la clé des champs

Cet article est issu de la rencontre le 6 juillet 2023 d’une vingtaine d’acteurs de l’inclusion en Normandie. Tous étaient réunis dans  le cadre du programme  Inclusion & Ruralité porté par la MSA qui accompagne avec makesense 35 lauréats sur tout le territoire. Parmi les objectifs du programme Inclusion & Ruralité : accompagner le développement de structures inclusives en zones rurales isolées et faire de la coopération et de l’ancrage territorial des thématiques fortes du programme. Plus d’infos par ici.


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