Anne-Sophie Roux : « Aujourd’hui, on connaît mieux la surface de la lune que les fonds de l’océan »

Anne-Sophie Roux : « Aujourd’hui, on connaît mieux la surface de la lune que les fonds de l’océan »

Elle vient des hauteurs de la montagne mais se passionne pour les fonds marins, Anne-Sophie Roux est de ces jeunes activistes qui défendent l’océan. Rencontre.
15 September 2023
par Hélène Binet
5 minutes de lecture

Elle vient des hauteurs de la montagne mais se passionne pour les fonds marins, Anne-Sophie Roux fait partie des jeunes activistes qui passent leurs journées à défendre l’océan. Rencontre.


Dans la vie militante, il y a deux types d’individus, ceux qui se battent pour empêcher un projet destructeur de se faire et ceux qui s’activent pour réparer les dégâts. Prévenir ou guérir, au choix. Anne-Sophie Roux qui incarne à merveille son patronyme dans sa chevelure à la petite sirène fait partie des deux camps. Son combat est double face. Côté pile, elle s’investit à plus de 4000 mètres sous les mers, dans les abysses pour préserver cet écosystème méconnu grâce à l'ONG Sustainable Ocean Alliance dont elle est chargée de campagne contre l'exploitation minière des fonds marins en Europe. Côté face, elle remonte un peu plus à la surface pour restaurer les écosystèmes côtiers grâce à l’entreprise Tēnaka qu’elle a créée.

« Je viens de Savoie, je n’étais pas proche de la mer dans ma jeunesse, confie Anne-Sophie. Chez moi, la disparition des glaciers est très visible, c’est une réalité qui s’affiche en permanence en toile de fond. Mais au cours de mes études, je me suis rendue compte que l’océan était notre plus grande solution et permettait de répondre à des enjeux aussi différents que la précarité, l’alimentation, la protection des côtes, la crise climatique. » En effet, l’océan régule à 95% les excès de chaleur dans l’atmosphère, produit plus de la moitié de l’oxygène que l’on respire, séquestre la majorité des gaz à effet de serre. Et tout le monde s’en fout ?

Ressusciter les écosystèmes marins

« Aujourd'hui on connaît mieux la surface de la lune que les fonds de l’océan », déplore Anne-Sophie qui est arrivée à cette thématique par l’humain (elle a également mené des travaux en sciences sociales autour de l’adaptation des communautés côtières au changement climatique) et qui s’est concentrée sur les actions concrètes poussée par l’urgence climatique. C’est ainsi qu’en 2019, Anne-Sophie Roux crée Tēnaka, une entreprise sociale dont la mission est de restaurer les écosystèmes marins, plus grands poumons et puits de carbone de notre planète. Comment ? En engageant des entreprises dans des programmes régénératifs pluriannuels.

Concrètement, Tēnaka permet aux sociétés d’investir dans des opérations de restauration de coraux et de mangroves, incroyables puits de carbone. En 4 ans, 17 hectares de mangroves et récifs coralliens, principalement en Asie du Sud-Est ont pu être restaurés, plus de 3000 espèces ont été protégées et l’entreprise compte désormais 3 salariés. « Nos actions ont des impacts visibles et rapides, c’est super gratifiant, se réjouit la presque trentenaire. Quand on restaure les récifs  coralliens, on observe des résultats au bout de quelques mois seulement. La tortue imbriquée qui est une espèce  en voie  d’extinction est venue mettre bas dans nos nurseries. » 

Anne-Sophie se réjouit encore plus fortement quand Tēnaka arrive à faire changer durablement les pratiques. « En Asie du Sud-Est la pêche à la dynamite était très courante. Aujourd’hui, les pêcheurs se reconvertissent et restaurent les récifs  coralliens. »

Empêcher le pillage 

Parce qu’on ne peut pas passer sa vie à restaurer ce que d’autres détruisent, Anne-Sophie a également choisi la voie de la protection en devenant il y a 4 ans  la représentante française de la Sustainable Ocean Alliance, organisation qui accompagne les jeunes porteurs de solutions pour les océans dans 165 pays du monde et mène de grandes campagnes de plaidoyer. Parmi celles-ci : mettre fin au deep sea mining ou l’exploitation minière des océans. 

C’est sur ce sujet qu’Anne-Sophie a décidé de s’engager, en menant la campagne sur le continent européen. Son combat se situe au cœur des abysses, là où l’eau est si sombre que certains animaux deviennent bioluminescents. Là où plus de 10 millions d’espèces restent encore inconnues, où des coraux sont vieux de plus de 5000 ans, où il existe même des monts sous-marins. Là où l’on trouve des métaux rares, cuivre, cobalt ou manganèse que quelques industriels aimeraient bien exploiter.

« Il y a 18 mois, la France qui possède la 2e plus grande aire marine au monde était pour l’exploitation minière de l'océan, explique Anne-Sophie qui, avec son amie Camille Etienne a lancé en 2022 une grande campagne de mobilisation citoyenne grâce à une vidéo très efficace, au hashtag #lookdown et à l’interpellation directe des politiques. La stratégie des deux jeunes femmes est bien ficelée. « 1. On a d’abord expliqué au grand public en quoi notre survie dépendait de l’océan profond. 2. On a travaillé avec les journalistes pour faire vivre ces messages au-delà de notre bulle d’activistes. 3. On a interpellé le gouvernement. 4. On a travaillé avec les parlementaires aux niveaux français et européen. 5. On a rédigé une proposition de loi portée par Nicolas Thierry. »

En novembre 2022, lors de la COP27 de Charm el-Cheikh en Égypte, victoire ! Le président Emmanuel Macron annonce que la France soutient l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. « C’est encore plus ambitieux que la demande des scientifiques pour un moratoire, se félicite la militante. Le rapport de force a changé. Mon boulot désormais est de faire en sorte qu’un maximum de pays nous rejoignent. »  En France, depuis, la proposition de loi a été votée à la majorité absolue le 17 janvier 2023 pour interdire l’exploitation dans les eaux françaises, soit 11 millions de kilomètres carrés.

Jusqu’au bout de ses rêves

Pour ce faire, Anne-Sophie monte dans un avion dès que nécessaire pour défendre l’idée lors de négociations internationales. « Si je pouvais aller en voilier en Jamaïque je le ferai. Pour tout le reste je prends le train. » À la mi-septembre 2023, 21 pays ont emboîté le pas à la France. « Ne lâche rien Anne-Sophie, écrit le marin engagé Colomban Monnier sur LinkedIn, dans 6 mois, il y aura 42 pays. »

En attendant la conférence de l’ONU sur l’océan à Nice en 2025 où Anne-Sophie espère ardemment faire accepter le moratoire au niveau mondial, la jeune militante ne lâche effectivement rien. « La nuit je rêve que je suis dans des négociations, ça prend tout mon espace mental mais c’est la règle du jeu. Je me ressource en plongeant, je me reconnecte au pourquoi je fais ça. Si je pouvais passer ma vie sous l’eau j’adorerais. Je vois des similitudes entre la haute montagne et les profondeurs. Quand on est en cordée en alpinisme c’est comme en palanquée en plongée, il y a une vraie solidarité. Il est aussi question de pression, de mal des montagnes comme de mal des profondeurs…» 

Parmi ses endroits de plongée préférés, la réserve intégrale de Carry-le-Rouet près de Marseille, là où s’épanouissent les herbiers de posidonie. « Il n’y a pas besoin d’aller à Bora Bora, tout près de chez nous il y a des fonds marins magnifiques, incroyables. » 


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