Merci pour l’invit’, l’hébergement comme clé de réinsertion

Merci pour l’invit’, l’hébergement comme clé de réinsertion

Merci pour l’invit’ trouve aux femmes à la rue un logement chez l’habitant pour leur assurer une réinsertion durable.
17 June 2021
par Marie Auriac
5 minutes de lecture

Le chiffre fait froid dans le dos, surtout en hiver. 300 000 personnes n’ont toujours pas de toit en France, dont 120 000 femmes. Si elles sont moins visibles que les hommes, leur quotidien est pourtant marqué par les violences et l’insécurité. L’initiative Merci pour l’invit’ leur trouve un hébergement chez l’habitant pour leur assurer une réinsertion durable. Victoria Mandefield et Carmen Filitti reviennent sur la genèse du projet.

Carmen et Victoria

Merci pour l’invit’, c’est une invitation à quoi ?

Victoria : À la solidarité, puisque nous sommes un réseau d’hébergement citoyen à destination des femmes sans-abri. Concrètement, on met en relation des personnes qui ont une chambre de libre et une femme sans domicile selon leurs affinités et leurs envies. L’hébergement est temporaire : il va de 15 jours à 1 an et dure en moyenne entre 7 et 8 mois. Tout au long de leur hébergement, les femmes sont suivies par des travailleurs sociaux et, si besoin, par des psychologues bénévoles. Aujourd’hui, nous avons permis à 58 d’entre elles de trouver un toit chez l’habitant, ce qui correspond à plus de 5 000 nuitées à la rue évitées !

Vous avez choisi d’accompagner les femmes SDF. Pourquoi ?

Carmen : Les femmes sans-abri sont plus vulnérables et sujettes aux agressions que les hommes. La majorité d’entre elles a un lourd passé : elles ont souvent subi des violences sexuelles mais aussi psychologiques. À cela s’ajoute le fait que 80% des centres d'hébergement d'urgence sont réservés aux hommes (ou mixtes) ou ne sont pas adaptés. Les aider nous est apparu comme une priorité.

Quel est votre parcours ?

Carmen : Il n’est pas commun ! J’ai suivi un cursus d’entrepreneuriat et de gastronomie. Seulement, je ne voyais pas trop de sens à ce que je faisais, j’avais besoin de plus de concret. En parallèle, j'ai toujours été sensible à la question de la précarité, j’ai longtemps été bénévole chez les Restos du cœur. Un jour, je suis tombée sur une annonce de service civique chez Solinum. J’ai été prise et maintenant j'y travaille depuis 2 ans ! Cela fait un peu plus d’un an maintenant que je suis sur le projet Merci pour l’invit’. Au final, ma reconversion est assez inattendue mais mes compétences sont transférables à mon métier.

Victoria : Pour ma part, j’ai fait des études d'ingénieur. En parallèle, je faisais des maraudes mais j’étais incapable d’orienter les bénéficiaires. Je me suis rendue compte du manque d’information, de transparence et d’efficacité de l’action sociale. En 2015, j’ai donc fondé l’association Solinum pour lutter contre l’exclusion de façon plus innovante et coordonnée. On a commencé avec le Soliguide qui cartographie les lieux et services utiles aux personnes en situation de précarité. Le seul problème, c’est que les hébergements n’y étaient pas référencés. On s’est donc penchées sur la question et on a découvert des dispositifs souvent saturés et pas forcément adaptés à toutes les situations : logements mixtes, d’urgence, difficiles à vivre psychologiquement… Il fallait trouver une alternative. C’est ainsi qu’est né Merci pour l’invit’ !

Votre service contribue à faire changer le regard sur les femmes à la rue. Avez-vous vous-même fait face à des préjugés ?

Victoria : Les financements ont longtemps été un point bloquant car les financeurs sont souvent sceptiques vis-à-vis de notre service. Combien de fois avons-nous entendu : “Personne ne voudra héberger des femmes sans-abri !”. En réalité, beaucoup de gens acceptent de le faire, soit parce qu’ils ont de la place chez eux suite au départ de leurs enfants, ou tout simplement parce qu’ils ont envie d’aider ! On rencontre aussi un frein assez inattendu avec les journalistes qui cherchent sans cesse le pathos. Les femmes sans-abri ont droit à la dignité, il faut arrêter cette stigmatisation !

Carmen : On a aussi fait beaucoup de pédagogie auprès des travailleurs sociaux qui craignaient que notre action ne fasse doublon. Or, on n’a pas vocation à les remplacer, bien au contraire ! Au quotidien, ce sont eux qui nous orientent vers les femmes que l’on héberge. On se place davantage comme un intermédiaire entre eux et les familles.

Une belle histoire de coloc à nous partager ?

Victoria : Des belles histoires il y en a beaucoup ! On aime particulièrement celle de ce couple de bordelais qui a hébergé une femme au parcours difficile. Exilée, elle a été abandonnée par son mari et ses enfants lui ont été enlevés. Pour ne rien arranger, elle se faisait exploiter par les hôtels où elle travaillait... Cet hébergement a été un vrai moment de répit pour elle. Avec l’aide de ses hôtes, elle a suivi une formation et a même décroché un CDI ! Elle va enfin pouvoir sortir de cette situation d’esclavagisme et tenter de retrouver ses enfants. En général, nos hébergeurs œuvrent énormément dans le parcours d’insertion des femmes qu’ils accueillent.

Guillaume et Valentine, hébergeurs via Merci pour l'invit'

Vous êtes incubés chez makesense pour les 10 prochains mois. Qu’attendez-vous de cet accompagnement ?

Carmen : On est dans un moment charnière pour le projet et makesense nous apporte non seulement un cadre mais aussi un regard extérieur plus que nécessaire quand on est sans arrêt la tête dans le guidon !

Victoria : On a vraiment besoin d’acquérir une vision sur l’impact systémique de notre projet, ce qui peut être assez difficile quand on est absorbé dans l’opérationnel. On ne veut pas héberger dix femmes, mais des centaines de milliers ! Sur ce point, le savoir-faire de makesense nous est précieux. Et puis il y a une grande solidarité entre les incubés. On échange beaucoup, on se partage des conseils... C’est très enrichissant !

Merci pour l’invit’ en est encore à ses débuts. À l’avenir, qu’est ce qui vous rendrait fières ?

Carmen : Il y a deux choses qui me rendraient extrêmement fière. D’abord, d’arriver à collaborer étroitement avec les autres acteurs de l’hébergement citoyen, à former un écosystème uni et solidaire. Ensuite, de contribuer à rendre l’hébergement citoyen plus visible en France et à le démocratiser. Le chemin est encore long !

Victoria : De mon côté, je serai hyper fière si d’autres réseaux d'hébergement citoyen se créent et s’améliorent grâce à la mise à disposition de nos outils en accès libre.

Quelles sont les prochaines étapes pour Merci pour l’invit’ ?

Carmen : On a lancé notre campagne de crowdfunding sur Ulule ! Les fonds ainsi récoltés vont nous permettre de mettre au point la boîte à outils pour que notre dispositif soit dupliqué, essaimé encore plus en France.

Victoria : On publiera aussi très bientôt notre mesure d’impact dont on est super fières ! Bien sûr, si on expérimente le dispositif avec les femmes, on souhaite à terme en faire bénéficier tout le monde : hommes, personnes LGBT, jeunes... 

👉 Pour soutenir Merci pour l'invit' à partir de 1€, rendez-vous ici 

👉 Pour devenir hébergeur·se, c'est par ici


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