Le jour où j’ai pris un café avec mes voisin·es sans-abri

Le jour où j’ai pris un café avec mes voisin·es sans-abri

Trouver le courage de rencontrer les personnes sans-abri que je croise chaque jour dans mon quartier, et leur apporter un peu de chaleur.
01 March 2021
5 minutes de lecture

L’idée me trottait dans la tête depuis un moment : trouver le courage de rencontrer les personnes sans-abri que je croise chaque jour dans mon quartier, et leur apporter un peu de chaleur. Grâce au programme ré_action, je me suis lancée. Je pensais donner, j'ai surtout reçu.

“Ici, on ne fait pas des maraudes, on fait des Street Love.” Youcef qui anime la maraude du jour avec l’association La Rue tourne donne quelques consignes devant le tableau qui récapitule les quartiers que l’on s'apprête à arpenter. “On ne rôde pas, mais on rencontre nos voisin·es de rue, on partage des instants suspendus, on donne et même on reçoit'', poursuit-il. La fine équipe d’une petite dizaine de volontaires est briefée, les thermos de café chaud sont répartis dans les sacs, les masques sont enfilés : on quitte le local de La Rue Tourne, direction Châtelet !

Dans le métro, Max, bénévole depuis plus d’un an, m’explique qu’il est un grand habitué de ces expéditions du week-end. Il les attend d’ailleurs avec impatience. C’est l’occasion pour lui de prendre des nouvelles de Maryse et de ses illustrations, de Pascal, de Rachid… Quelque chose me taraude, nous n’avons pas emporté de sandwichs, de fruits ni de gâteaux... Youcef m’éclaire : “Aujourd’hui, quand on vit dans la rue, on ne meurt pas de faim, mais on peut mourir du manque de lien social.” Ce constat me serre la gorge et le cœur, mais pas le temps de creuser le sujet, nous sommes arrivé.es.

© La Roue Tourne

Les leçons de Pascal

Les rues près de l’Hôtel de Ville sont bondées, je me faufile entre les passant·es avec Manon et Nadège, aussi novices que moi, pour rattraper les deux garçons qui semblent parfaitement savoir ou se diriger. À peine sorti·es de la bouche de métro, nous tombons sur Pascal, adossé à la vitrine d’un magasin fermé pour rénovation. Max et Youcef s’arrêtent pour lui proposer un café et prendre de ses nouvelles, tandis que j’observe attentivement les échanges qui se déroulent sous mes yeux. La voix grave de Pascal est rassurante, il est rasé de près et réajuste souvent consciencieusement son masque. Il nous parle du virus, de ses particularités et de ses effets sur les voies respiratoires. Il connaît les protocoles hospitaliers sur le bout des doigts, à croire qu’il est à la tête d’un service de réanimation. Pascal est ce genre de personne capable de rendre à peu près n’importe quel sujet absolument passionnant. Je me surprends à penser que j’aurais bien aimé l’avoir comme professeur à l’école. Il enchaîne alors avec un petit tour historique des politiques féministes en France. Je suis absolument conquise. Je me surprends à me demander à quoi me sert tout ce confort de vie, si je ne m’en sers même pas pour savoir le quart de ce qu’il raconte ! Bluffée et fascinée, je reprends la route avec mon groupe, car ce n’est que le début de la balade.

© La Roue Tourne

Jérémie, le jardinier

Quelques mètres plus loin, un jeune barbu avec un bonnet nous arrête pour nous demander une cigarette. Personne ne fume, mais Manon lui propose un café qu’il accepte avec un enthousiasme non dissimulé. Je me dis tout de suite que ce mec est un soleil, sans doute à cause de ses yeux bleus et de son généreux sourire aux dents cassées. Avec un débit de parole qui n’a rien à envier à ceux des rappeurs les plus cotés, il nous sort une douzaine de blagues à la seconde. Nos zygomatiques ont du mal à suivre. Cet homme s’appelle Jérémie et vient d’une petite ville en Alsace où il vendait des nougats à la sauvette, à l’époque des francs. Mais surtout, l’Alsacien raconte l’époque où il faisait pousser tout un tas de trucs dans son ancien appartement. Celle où les gamin·es du quartier grimpaient à la gouttière pour lui piquer ses plants de tomates. Le cycle de vie d’une plante n’a aucun secret pour lui, et je repars avec la certitude de ne plus jamais enlever le germe dans mes gousses d’ail, “parce que le germe, c’est la source de vie, c’est le meilleur !”

© La Roue Tourne

Rencontre feutrée avec Maryse

Après avoir sillonné Châtelet et malgré la pluie, nous décidons d’élargir le périmètre et d’aller prendre des nouvelles de la fameuse Maryse. Abritée sous la verrière d’un restaurant fermé, emmitouflée sous une demi-douzaine de bonnets, elle griffonne sans relâche. À notre approche, Maryse lève la tête, et son visage se teinte d’un tendre sourire à la vue de Max et Youcef. Sa douceur me rappelle ma grand-mère. Je me demande intérieurement les raisons de l’incapacité du système à donner un logement à cette octogénaire. Chez Maryse, c’est le temple du feutre. Elle est entourée d’immenses sacs débordants de toutes les couleurs imaginables. Un autre est rempli de cahiers, de feuilles, de coloriages, d’œuvres achevées… Elle interrompt son labeur artistique pour tendre à Youcef une illustration de chat, qu’il accepte chaleureusement et qui viendra égayer les locaux de l’association ! Maryse n’est pas très bavarde, son langage est celui de la couleur, et nous la laissons à ses occupations.

“La rue, ça peut être violent. Je n’y suis pas depuis longtemps, mais j’ai parfois peur d’y voir le scénario d’un de mes polars prendre vie.”

© La Roue Tourne

La bibliothèque de Rachid

Notre dernier arrêt s’effectue au niveau des Grands Magasins, où nous manquons de rater Rachid, discrètement installé sous les échafaudages. Nous nous approchons précautionneusement, pour ne pas déranger sa lecture passionnée d’un vieux polar. Timide au premier abord, les yeux de Rachid s'illuminent quand Max lui parle des crêpes qu’il compte apporter la semaine prochaine. Nadège lui propose des livres, mais Rachid pointe du doigt une étagère en carton assemblée derrière lui, débordante de bouquins. “La rue, ça peut être violent. Je n’y suis pas depuis longtemps, mais j’ai parfois peur d’y voir le scénario d’un de mes polars prendre vie.” Il nous explique qu’il a plusieurs pistes d’emplois dans des librairies, mais que ces dernières sont souvent réticentes à employer une personne sans-abri. Nadège a des contacts, et lui promet de s’en servir. En attendant, on note bien précieusement que la garniture de crêpes préférées de Rachid, c’est sucre-citron.

Le jour tombe, on retrouve tous les autres groupes dans les locaux de makesense pour partager une galette et prendre des nouvelles des personnes sans-abri que les autres participant.es ont pu croiser. Il y a beaucoup d’émotion, on dirait une grand famille qui prend soin de chacun.e de ses membres. L’implication et la bienveillance générale est touchante, et moi, je me demande pourquoi je n’ai pas commencé les maraudes plus tôt.

S'engager pour les personnes sans-abri


Jeu concours - Gagne tes sapes. 80€ en bon d'acjat sur WeDressFair