L’antisèche de la sécheresse, tout comprendre au fil de l’eau

L’antisèche de la sécheresse, tout comprendre au fil de l’eau

Il fait trop chaud, il fait trop sec, nos réserves d'eau s'amenuisent. La sécheresse pourquoi, comment ? On vous explique tout.
16 March 2023
par Vianney Louvet
7 minutes de lecture

Après « pandémie », « Ukraine » et « retraites » c’est le nouveau mot-star de notre merveilleuse actu : « sécheresse ». On vous prévient : si vous n’avez pas trop le moral, ne lisez pas cet article. Et si en plus vous êtes sous l’eau, passez-nous en un peu.

L’état des lieux : pourquoi on n’en peut pluie

La situation est inédite. Entre fin janvier et fin février de cette année 2023, une séquence de 32 jours sans pluie a été enregistrée en France. Du jamais vu depuis le début des enregistrements en 1959 (le dernier hiver de ce type datait de 1989.). Le mois de février s’est terminé avec un déficit pluviométrique de plus de 50 %. 

Moins de pluie = moins de neige, comme te l’a rappelé ton voisin du dessus en revenant la mine déconfite de sa semaine de ski traditionnelle. Cette saison, l’enneigement dans les Pyrénées et les Alpes a lui aussi été faible ce qui est une sale nouvelle de plus. En effet, la fonte des neiges est une source d’alimentation supplémentaire des rivières proches des montagnes.

Cerise sur le gâteau tout sec, c’est la première fois depuis les premières données de 1947 qu’on observe une série de températures moyennes mensuelles au-dessus des normales aussi longue. Rien de nouveau sous les nuages me diras-tu. Depuis août 2021, quasiment tous les mois sont déficitaires en pluie. 2022 a déjà été particulièrement chaude et sèche. Et là on ne parle que de la France. Si on prend 5 minutes pour oser regarder ailleurs - dans la corne de l’Afrique par exemple, 22 millions de personnes sont menacées par une sécheresse historique débutée fin 2020. La maison brûle aussi, en bien pire. 

De très nombreuses rivières et plans d'eau européens (ici le Lac des Brenets à la frontière entre la Suisse et la France photographié le 18 juillet) sont asséchés. (Fabrice COFFRINI/AFP)

Les conséquences : ni les petits ruisseaux, ni les grandes rivières

Mécaniquement, cette absence de précipitations et de neige fondue assèche les cours d’eau. Certes. Mais ce n’est pas tout.


Sols au monde

Les sols ont aujourd’hui un niveau de sécheresse semblable à celui d’une mi-avril. Deux mois d’avance voire pire dans certaines régions comme le Roussillon, l’Aude, les Pyrénées-Orientales. L’absence de pluie expliquée n’est pas la seule responsable de la situation. L’artificialisation des sols, les remembrements qui ont supprimé les haies, la destruction des zones humides, le drainage agricole (entre autres) entraînent aujourd’hui une réduction des stockages naturels d’eau dans les sols et les nappes phréatiques. On enchaîne avec la question des mégabassines ? Non, allez, ce sera pour un autre article.

Où as-tu rangé la nappe ?  

Arrêtons-nous un instant sur ces fameuses nappes phréatiques. Normalement l’hiver, c’est leur MOMENT, ce qu’on appelle pompeusement – vous l’avez ? – la période de recharge. En gros, si tout se passe bien, elles se gorgent d’humidité en quelques mois pour retrouver leurs niveaux habituels. Sauf que là, on a un double problème : le déficit de pluie hivernale et l’été caniculaire que l’on vient de vivre… qui nécessiterait donc une recharge en eau plus forte que d’habitude. Comme souvent avec le réchauffement climatique, un cercle vicieux se met en place.

Comment on mesure ces réserves ? Il existe 1 600 points de mesure pour surveiller le niveau de ces nappes, ils sont gérés par le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières). En janvier dernier, 60% des points de mesure ont enregistré des niveaux en dessous des normales.

Une liste bleue qui devient noire

On se concentre ici sur les réserves d’eau mais on pourrait aussi s’arrêter sur d’autres enjeux liés à l’eau. Au hasard, sa pollution : 70 % des lacs et des rivières du globe souffrent d’eutrophisation (tu sais les algues vertes). Tout ça n’est bon pour personne et encore moins pour la biodiversité : plus de 80 % des vertébrés aquatiques ont déjà disparu

Pour Florence Habets, hydroclimatologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique, « les polluants éternels produits par l’industrie s’accumulent et persistent dans les eaux. Résultats : de nombreuses ressources ne sont plus utilisables pour l’eau potable. Depuis trente ans, 11 % des points de captage de l’eau potable en France ont fermé, directement à cause de la qualité de l’eau. »

La pluie en noir et blanc

Oui, ton oncle te dira qu’un épisode comme ça on en a déjà eu en dans les années 1940 et il n’aura pas tort. Mais la grande différence c’est qu’à déficit de pluie égal, les impacts aujourd’hui sont très différents. Une sorte de théorème pluvieux plus vieux. Excellent ça. Le truc donc, c’est qu’en 2023, on est beaucoup plus à se partager la ressource. En 1940, on était un peu plus de 2 milliards sur Terre, aujourd’hui on est 4 fois plus. Pas besoin d’avoir la médaille Fields pour comprendre qu’on se rapproche toujours plus dangereusement du seuil des limites planétaires.

Les raisons : la sécheresse à la racine

La météo, mais pas que…

BFM le dira très bien aussi : depuis le 21 janvier, un puissant anticyclone est installé au Nord de la France. Cette zone de fortes pressions atmosphériques agit comme un bouclier et repousse les perturbations. D’accord, mais ne cachons pas l’océan derrière la petite flaque : ce sont surtout nos prélèvements qui accentuent les sécheresses hydrologiques. Les grandes cultures céréalières se font bien plaisir pour irriguer (les surfaces alimentées en eau ont quadruplé). Ces consommations sont déjà responsables de 27 % des sécheresses hydrologiques dans le monde. 

Les dérèglements climatiques en cause, encore ?

Laissons Matthieu Sorel, climatologue à Météo-France répondre à LA question : « il est trop tôt pour l’assurer, seule une étude d’attribution pourra établir le lien de causalité ». Ok, Matthieu, tu as raison, soyons prudents. Mais rappelons tout de même que le cycle de l’eau est affecté par le changement climatique, ça ce n’est plus un débat (sauf pour Pascal Praud et ses copains). Quand la circulation atmosphérique est modifiée, la répartition spatiale des pluies l’est aussi. Il va donc moins pleuvoir chez nous et beaucoup trop ailleurs grosso modo.

Le cours de la Loire. (Crédits : Reuters)

La suite : Cryin’ in the rain

La pluviométrie des 3 prochains mois (mars, avril, mai) va être déterminante. Il faudrait qu’une vache ait la bonne idée de nous pisser dessus abondamment, cela permettrait de grossir les cours d'eau et donc de recharger les nappes phréatiques. Ça, c’est pour le court-terme.

« Les projections climatiques prévoient que les sécheresses pluriannuelles vont se multiplier en France et en Europe : pour une hausse de 1,5 °C de la température globale, les sécheresses les plus longues devraient atteindre trois ans dans quasiment toute l’Europe. Et augmenter de deux ans pour chaque demi-degré de température supplémentaire. » Ça, c’est pour le long-terme, nous dit Florence Habets.

SURPRISE ! C’est la fin de l’abondance

La situation devrait entraîner des restrictions sans précédent cet été. Comment ça marche ? Qui décide ? Des comités "ressource en eau" (CRE) – 500 en en 2022 – regroupent des représentants des usagers de l'eau : syndicats, agriculteurs, associations pour débattre – non sans vague – et tenter de trouver un équilibre entre les enjeux économiques d’un côté (pour l'agriculture notamment) et les impératifs de sobriété de l’autre côté…

Néanmoins le dernier mot sera pour les préfectures. En cas d’alerte, l’arrêté peut aller de la simple incitation (niveau 1) à l’interdiction de tout prélèvement en eau non prioritaire (hors santé, sécurité civile, eau potable, salubrité). Pour te tenir au jus des dispositions prises localement, rendez-vous sur le site du ministère de la Transition écologique et sur Propluvia (une carte de France où figurent les arrêtés de restrictions en vigueur).

On fait quoi ? Pas de panique, ceci n’est pas un exercice

À ce stade, tous nos gestes comptent (on t’en parle vite dans un autre article). Mais l’enjeu est avant tout politique. Le 23 février, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, a réuni un Comité d'anticipation et de suivi hydrologique (Cash), un mois plus tôt que d'ordinaire. Autour de la table, des représentants de Météo France, des spécialistes des nappes phréatiques ou des cours d'eau… À la suite de ces rencontres, le gouvernement doit présenter un "Plan Eau" fin mars. Se voiler la face et poursuivre un système mortifère pour le vivant ou basculer vers une transition radicale, telle est la question.

Des idées, on en a !

Certaines sont… mauvaises. Dessaler l’eau de mer par exemple. C’est très énergivore et demandeur en eau ! Pour produire de l'énergie, on a besoin de refroidir des centrales par exemple. Le serpent qui se mord la queue ! Peut-on proposer la règle suivante : « ce qui commence par « techno » et finit par « logie » est dans 100% des cas une fausse solution qui nous aveugle un peu plus » ? Bien-sûr les maîtres d’œuvre technophiles, eux, les adorent ces solutions, les coûts induits sur le climat ou la biodiversité étant payés par d’autres qu’eux.

Allez finissons par une grande et belle question : pourquoi ne pas utiliser cette alarme ultime pour réformer nos modèles agricoles ? Pourquoi ne pas pousser l'État à soutenir, pour de vrai, l’agroforesterie et l’agriculture biologique ? Leurs co-bénéfices pour l’eau et le climat – et donc notre survie, tout simplement - sont nombreux et cruciaux. Mesdames, messieurs les politiques, il est temps de vous jeter à l’eau.


Quelques sources si tu veux creuser le sujet : 

N’hésite pas à creuser et à poser tes questions au Centre d’information sur l’eau si t’es un élève modèle.  Et pour savoir où on a puisé toutes ces informations, c’est par là : 


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