“C’est arrivé un soir d’été” – l’engagement à l’épreuve d’une vie qui bascule.

“C’est arrivé un soir d’été” – l’engagement à l’épreuve d’une vie qui bascule.

Un jour, leur vie a radicalement pris un autre chemin. Une décision, un événement qui bousculera tous leurs repères…
05 October 2022
par Vianney Louvet
6 minutes de lecture

Claire, Arnaud et Clotilde. Un jour, leur vie a radicalement pris un autre chemin. Une décision, un événement qui changera leur quotidien, leurs habitudes et qui bousculera tous leurs repères… Et leurs certitudes ? Et leur engagement ? Comment un traumatisme impacte une personne et son rôle dans le monde ? Un divorce rend-il moins écolo ? Tout plaquer du jour au lendemain aidera-t-il à s’engager davantage ? On a pris notre ligne téléphonique, on leur a demandé, ils nous ont répondu.

Je vous parle d’un temps que vous devez connaître...

Clothilde

Clotilde : Je suis institutrice à Paris. Accompagner des enfants à l’aube de leur vie, c’est une cause juste qui me permet de mettre du sens dans mon travail. 

À ce moment de ma vie, je me sens bercée par une vie sans trop de questionnements, je choisis certaines choses, oui, mais cela se restreint à des petits choix du quotidien. Je me donne dans mon travail en expliquant à Lucas pourquoi il ne faut pas gifler Léo, je me donne dans mon quartier en discutant tous les matins avec mon copain fromager, je me donne dans mes relations amicales, aussi. Il y a donc : moi, le monde, mon engagement pour le monde. Tout est séparé. La binarité travail et vie de loisir est très forte. Je veux agir pour un monde plus juste mais le temps me manque, mon travail occupe toute ma semaine laissant à distance de mes aspirations profondes. J’ai un paquet de réflexions en salle d’attente intérieure, des désirs d’engagement qui ne verront jamais le jour… Je me sens prise au piège d’un moule solide et bloquant le mouvement. Et puis, un jour ça a changé.

Claire : Je suis éducatrice spécialisée dans la santé mentale pour adultes, ce qui correspond à mon désir initial de m'engager concrètement auprès des populations les plus précaires. Je suis perçue comme une sainte aux yeux des autres, mais je suis perpétuellement épuisée et je ressens une sorte d'incapacité à être vraiment heureuse malgré une vie où j'avais coché toutes les cases de ce que je pensais vouloir : couple, appartement, travail, amis et amies, voyages. Et puis, un jour ça a changé.

Arnaud : Je vis avec ma femme et mes deux filles à Lille et travaille dans l’informatique. Engagé ? Oui. J’ai toujours eu un côté écolo et ça allait des transports en commun à la démarche zéro déchet engagée avec ma famille en passant par un projet de compostage porté par la mairie. Sous l’impulsion d’un ami, je m’intéresse au minimalisme : le concept de moins mais mieux résonne en moi, je commence donc à faire un peu le tri dans mes affaires et ma vie. Résumons : mon style de vie est simple et rime avec sobriété. 

Et puis un jour…

Arnaud

Arnaud : Un jour, nous prenons la décision de divorcer et je me retrouve à déménager dans un petit appartement. Je me souviens de ce moment où j’y pose les pieds pour la première fois. Il est vide, toutes mes affaires sont encore à la maison. Je profite de ce silence pour prendre un temps de réflexion. Qu’ai-je vraiment envie de prendre avec moi pour construire cette nouvelle vie ? De quoi ai-je réellement besoin ? Très vite, je sens monter en moi un élan clair. Cette sorte de remise à zéro est une occasion pour aller au bout des choses, pour trouver plus d’unité dans ma vie, notamment en franchissant des étapes supplémentaires dans mon engagement au quotidien. Je me sens confiant malgré le saut dans le vide qui m’attend. 

Clotilde : Un soir d’été, je suis au parc des Buttes Chaumont, sur la pelouse, je m’offre une mousse au chocolat bio et la déguste en appelant ma maman au téléphone. Elle me parle de Sébastien, un fils d’amis qui du jour au lendemain a décidé de quitter son appartement et de “faire exploser” sa vie bien ordonnée pour partir faire du volontariat à l’étranger. A ce moment-là je ressens ce que doit ressentir un disjoncteur lorsqu’il est déclenché. Je me sens intimement rejointe par cet élan de liberté. Je me demande pourquoi je ne le fais pas. Je regarde autour de moi, les buttes me paraissent d’un coup toutes petites, je me sens étriquée, étouffée au milieu d’une grande ville qui ne me ressemble pas. 

Quelques jours plus tard, je donne ma lettre de préavis actant le fait que je ne serai pas maîtresse à la rentrée prochaine. 

Claire : En avril 2015, je suis de passage au Népal avec une amie, j'attends mon visa pour rejoindre le Tibet. C'est à ce moment qu'a lieu un énorme séisme, de magnitude 7,8, qui ravage le pays et fait plus de 8000 morts. L'électricité est coupée, rapidement la nourriture vient à manquer et il y a des répliques plusieurs fois par jour. On se retrouve soudainement à devoir faire des choix qui peuvent impacter notre survie et à faire face à la probabilité de notre mort, et à celles de toutes celles et ceux en face de nous.

Il y a eu un avant et un maintenant

Claire

Claire : Le ressenti viscéral de la mort dans mon corps m'a fait réaliser qu'assez inconsciemment, mon moteur dans la vie avait longtemps été de répondre aux attentes invisibles de la société et de mon entourage. Cet évènement m'a rendue bien moins perméable au regard des autres et beaucoup plus sensible à mes propres ressentis. Dans les mois qui ont suivi, j'ai quitté mon travail pour voyager et me lancer dans l'entrepreneuriat, sans garantie, mais avec la clarté que je ne pouvais plus me contenter d'une vie sans risque. Sur le papier, on peut regarder ce virage et conclure : “depuis le séisme, sa vie est moins engagée”. Mais c’est intérieurement tout le contraire qui s’est passé. Mettre à distance le regard des autres, de la société, et retrouver mon élan intérieur, propre à moi, Claire, a été source d’énormément de vie et de fécondité dans les mois et années qui ont suivi. L’engagement sur le CV peut parfois étouffer l’engagement de ton cœur. 

Arnaud : Redémarrer une nouvelle vie, dans un nouveau logement, avec un nouveau rythme pour la garde des filles, tout cela aurait pu être un point d’arrêt ou au moins un frein à ma vie “engagée”. Au contraire, je prends aujourd’hui le temps de poser des actes clairs et de mettre en pratique des idées que j’avais depuis longtemps : limiter les achats de produits neufs, installer une cuisine 100% zéro déchet, installer un lombricomposteur… Rendre concret un élan intérieur me nourrit profondément.  Le concret de ma vie trouve un écho quasi-spirituel : je fais un tri radical dans mes vêtements, mes chaussures, je me sens léger, centré sur l’essentiel. Je retape un vieux meuble, je me sens en mouvement, créant un renouveau.  Je supprime tous les produits industriels de mon alimentation et diminue ma consommation de viande. Tous ces mini-projets ont été l’occasion d’expérimenter, d’affiner et de mettre en pratique des engagements. C’est aussi comme ça que je montre un exemple à mes filles d’une vie sobre mais heureuse.  

Clotilde : Nous sommes le 1er septembre 2022, je suis à Marseille, je cours une heure sur la corniche, me plonge dans l’eau puis me commande un café sur le sable. En ce jour et pour la première fois depuis 6 ans, des enfants font leur rentrée à l’école… Et moi non. Je me sens très sereine et chanceuse de vivre cet instant. Je ressens une solitude créative et une grande liberté face au monde. Je réalise que cette décision m’a permis de me ré-engager dans ma vie, plus que dans le monde. Et que le premier engagement qui doit exister pour moi est l’engagement par mon “je”. Si personnellement je ne m’engage pas, j’ai beau réfléchir à l’engagement dans le monde, je resterai désarticulée entre ma personne, mon “je” et le monde. 

Mon choix est porteur de vie et je n’ai plus aucune envie de reculer. J’épouse une radicalité nouvelle, j’ai l’impression de tailler mon arbre pour qu’il s’élève. 

Il me reste à adopter une discipline de vie pour prendre le temps, face à cette page blanche, de choisir ce qui est essentiel ou non. Avant mon travail me permettait un confort de non-questionnement. Aujourd’hui, tous mes “il faut” sont remplacés par des “je choisis”.


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